Le pastiche, un art de droite ?

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Marc Fumaroli – voyez comme j’ai de bonnes lectures – écrit dans un récent article de la Revue d’histoire littéraire de France – relevez l’étendue de mes curiosités – « le pastiche peut être dicté par l’admiration, par le souci d’intérioriser un style que l’on veut ajouter à ses propres ressources d’expression. Il peut aussi être inspiré par l’ironie, et le désir de mettre en évidence, en grossissant ses procédés, les défauts et les prétentions d’une manière. Il penche alors du côté de la caricature, de la parodie, du mimétisme burlesque . »

Les pastiches de Proust sont manifestement des travaux préparatoires, inspirés tant par l’admiration que par le désir de s’approprier des techniques dont il fera sa propre sauce pour la Recherche. On sait qu’il considérait le pastiche comme une forme de « critique intérieure ». Et pour narrer cette « affaire Lemoine » du nom d’un faussaire fameux qui, au début du XX° siècle, était parvenu à extorquer un million de francs de l’époque au président de la compagnie De Beers pour un prétendu secret de fabrication des diamants, le cher Marcel avait convoqué Balzac, Flaubert, Sainte-Beuve, Henri de Régnier, les Goncourt, Michelet, Ernest Renan et Saint-Simon. Que des pointures, comme on dit chez les djeunes.

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Votre bouquin, La présidentielle , ressort, quant à lui, de la deuxième catégorie. Vous le dédiez à Jean-Louis Curtis , qui a beaucoup fait rire aux dépends des grands intellectuels français du XX° siècle, en particulier avec son fameux recueil d’analyses des évènements de Mai 68 attribués à Bernanos ou Céline, Valéry et Malraux, Aragon et Simone de Beauvoir, sous le titre hilarant **La Chine m’inquiète ** (1972).

Mais la bible de tous les amateurs de pastiche reste le fameux « A la manière de » publié à la veille de la Première Guerre Mondiale par Paul Reboux et Charles Mulle r. Toutes les gloires littéraires de France y étaient passées à la centrifugeuse pour la plus grande joie des lycéens se débattant avec le monde tel qu’il est de Racine et qu’il devrait être de Corneille.

C’est en s’inspirant de ces fameux duettistes que les compères **Michel-Antoine Burnier et Patrick Rambaud ** publièrent leur propre recueil de Parodies en 1977. Rambaud poursuivit seul une aventure dont on retiendra **le « Roland Barthes sans peine ** » une parodie des ouvrages aux titres bifides de François Mitterrand, Le tronc et l’écorce de savoureuses parodies de Duras, parues sous le pseudonyme de Marguerite Duraille, Virginie Q . et **Mururoa mon amou ** r et bien sûr, la saga consacrée au règne de Nicolas I° , dont le dernier volume est annoncé.

Parmi les plus récents, il y a évidemment le Jourde et Naulleau, parodie du Lagarde et Michard, exercices à l’appui, qui fait leur fête à bien des glorioles littéraires de nos années récentes. Encore un duo, notez-le bien, encore un duo.

Mais pour tenter de me hisser au niveau des généralités, exercice auquel je suis quotidiennement convié par la direction, il me semble que la parodie est une ressource à la disposition des exaspérés, des écrivains qui se sentent exclus du cours général de l’histoire littéraire. Vendant peu, ces losers se vengent de l’époque en montrant que le style de ceux qu’on couronne à leur place est fait de tics aisément reproduits . Bref, la parodie serait une affaire d’esthètes rebelles , un truc de hussard, et pour dire le fond de ma pensée, un procédé typique de la droite littéraire . Une manière de suggérer : les poissons morts vont toujours dans le sens du courant. Nous, nous le remontons et c’est autrement plus classe.

Est-ce un hasard si Jacques Laurent , le pape des hussards, s’en était pris, dans **Dix perles de culture ** , aux dramaturges qui dominaient les scènes de son époque et qui l’exaspéraient : dont Sartre et Camus, Montherlant et Claudel. Il s’était fixé une règle du jeu : « Ne recourir qu’à quatre personnages, l’un habillé d’un vêtement sévère, l’autre d’un short, le troisième d’un uniforme de chevau-léger. La femme portera une robe blanche. On doit entendre une sirène de pompiers. » Le fait de se fixer une règle du jeu totalement gratuite, capricieuse, voire aberrante, mais personnelle, c’est une pose typique de hussard. Une manière de dire : je respecte des règles et elles sont strictes, mais c’est moi qui les pose, de manière souveraine.

Chez vous, Patrick Besson , y a-t-il une règle du jeu qui m’aurait échappé ?

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