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EntretienCatastrophes nucléaires

« A Fukushima, tout n’est pas sous contrôle »

Naoto Kan était Premier ministre du Japon au moment de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Il y a quelques mois, il avait raconté à Reporterre et au film Libres ! l’accident de Fukushima. Nous l’avons de nouveau rencontré lors de son passage à Paris mardi 24 février. Alors que de nouvelles fuites radioactives s’échappent de la centrale, il explique que l’information sur la situation reste largement tronquée.

Reporterre - Presque quatre ans après l’accident de Fukushima, suivez-vous toujours de près ce qui se passe là-bas ? Comment avez-vous des nouvelles ?

Naoto Kan - Oui je continue de suivre de près ce qui se passe à Fukushima. L’année dernière je me suis rendu sur place. Je vais aussi visiter les lieux où sont réfugiées les personnes évacuées.

Il y a quelques jours, une nouvelle fuite radioactive a été détectée à Fukushima, avec des taux de radioactivité 70 fois supérieurs aux valeurs hautes déjà enregistrées sur place. Que savez-vous de cette fuite ?

Les dernières nouvelles proviennent de Tepco, l’opérateur de la centrale. Il reconnaît qu’il y a une fuite d’eau hautement contaminée vers la mer mais admet qu’il ne sait pas quelle est son origine.

Tous les jours, 300 tonnes d’eau sont déversées sur chacun des réacteurs n° 1, 2 et 3. Leurs cuves sont percées, alors l’eau contaminée s’échappe. Normalement, cela fonctionne en circuit fermé : une partie de cette eau contaminée est récupérée, traitée et réutilisée pour refroidir les réacteurs. Une autre partie de cette eau ne peut pas être traitée et elle est stockée sur le site dans des cuves. Mais il semble que ces cuves fuient. Aujourd’hui cette eau contaminée entre en contact avec la nappe phréatique et l’océan. Ce sont plus de 600 tonnes d’eau contaminée qui s’échappent chaque jour.

L’eau qui fuit arrive dans une petite baie en aval de la centrale. Le gouvernement dit que l’eau contaminée reste dans la baie mais en réalité la marée fait que l’eau rentre et sort. Très probablement, de l’eau contaminée s’échappe au large.

Aujourd’hui le message du Premier Ministre Shinzo Abe est de dire que depuis un an, tout va bien, tout est sous contrôle. Moi, mon message est de dire que tout n’est pas sous contrôle et qu’il y a encore des problèmes de pollution radioactive.

Quels sont les types de radio-éléments qui s’échappent lors de ces fuites ?

Je n’ai pas d’information précise sur ce sujet. Il s’échappe du césium, du strontium, de l’iode radioactif : les particules habituelles. Il est possible qu’il y ait également du plutonium. Mais officiellement, il n’y en a pas. Ce ne sont que des rumeurs. [Le plutonium est le plus dangereux de tous ces radio-éléments - NDLR]

Cette fuite est-elle exceptionnelle ?

Non, des fuites de ce genre ont déjà eu lieu. Parfois les fuites ne sont pas signalées dans les médias. Si la fuite a lieu dans les nappes phréatiques souterraines, on peut ne pas la signaler, et il n’y a aucun moyen de savoir a quel point elle contamine le milieu.

Vous avez déjà critiqué, notamment dans votre précédent interview avec Reporterre, l’attitude de Tepco juste après l’accident : l’entreprise ne donnait que les informations qui lui étaient favorables. A-t-elle encore la même stratégie aujourd’hui ?

Il y a toujours eu rétention d’information de la part de Tepco. Par exemple, il y avait des visioconférences entre la centrale nucléaire et le siège, et ils n’en diffusaient que les informations qui pouvaient leur servir.

Aujourd’hui il ne m’est pas possible de dire s’ils cachent des informations. Mais à l’époque où j’étais Premier ministre, ils faisaient de la rétention d’information de cette façon là.

Pensez-vous que le gouvernement japonais actuel cache lui aussi des informations ?

La position du gouvernement est de dire que, "Tout ce que nous savons, nous le diffusons".

Le croyez-vous ?

C’est une question de responsabilité politique. Le gouvernement japonais doit diffuser les informations, car il s’adresse à la communauté nationale. Mais si jamais il se révèle qu’il y a eu de la rétention d’information, il y aurait des conséquences…

L’information originelle est détenue uniquement par l’entreprise Tepco. C’est problématique car par exemple lorsque que j’étais Premier ministre, le jour de l’accident le 11 mars 2011, nous avions reçu des données erronées de la part de Tepco, qui disaient que les réacteurs n’étaient pas entrées en fusion.

Il y a donc deux possibilités. Soit Tepco fournit des données erronées au gouvernement parce que l’entreprise elle-même est mal informée. Soit c’est un mensonge volontaire parce que les informations n’arrangent pas Tepco. La limite entre ces deux possibilités est floue.

Il y a encore près de 120.000 « évacués », c’est à dire des personnes qui ont dû partir de chez eux à cause de la catastrophe. Que savez-vous du sort de ces personnes aujourd’hui ?

Il y a deux cas de figures. Les gens qui sont partis parce que le gouvernement a décidé que c’était un périmètre a évacuer reçoivent des indemnités. Mais pour ceux qui sont volontairement partis, pour préserver un peu leur famille, ceux-ci ne reçoivent pas d’indemnité. Il y a beaucoup de territoires sur lesquels, même s’ils peuvent revenir sur place, ils ne peuvent pas continuer leur activité. Beaucoup d’agriculteurs ne peuvent pas reprendre l’élevage laitier par exemple.

Je pense que même pour les personnes qui sont parties de leur plein gré, il faudrait une indemnité financière. Il est quasiment impossible de savoir combien de personnes sont concernées. Puisqu’elles ont décidé de partir d’elles-mêmes, on n’a pu faire de statistiques officielles.

Le gouvernement japonais projette de remettre en marche certains réacteurs nucléaires. Qu’en pensez-vous ?

Depuis un an et demi, tous les réacteurs sont arrêtés et aucun réacteur n’a été remis en marche au Japon. Le gouvernement a effectivement envie de relancer le nucléaire sur une dizaine de sites, mais pour l’instant aucun n’a eu l’autorisation, ni de l’Autorité de sûreté nucléaire, ni des autorités locales autour de chaque centrale.

Désormais les règles de sécurité obligent à envisager, autour de chaque réacteur, une zone d’évacuation d’un rayon de trente kilomètres. Pour l’instant, aucun de ces plans d’évacuation n’est suffisamment avancé pour envisager de remettre en marche le réacteur.

Alors, pensez-vous que le Japon va relancer le nucléaire, ou en sortir ?

Je ne peux pas me prononcer. Mais la position du gouvernement est favorable au retour du nucléaire, la population elle est contre, et moi également.

-  Propos recueillis par Marie Astier

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