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L’état d’urgence repart pour trois mois, malgré un bilan contesté et mitigé

Sur les 274 assignations à résidence, moins de 100 devaient être renouvelées. La Ligue des droits de l’homme porte plainte contre ces mesures « arbitraires ».

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Publié le 25 février 2016 à 00h50, modifié le 26 février 2016 à 10h54

Temps de Lecture 5 min.

Une perquisition à Carcassonne (Aude), le 20 novembre 2015.

Vendredi 26 février, à minuit, l’état d’urgence voté par le Parlement après les attentats de Paris et Saint-Denis touche à sa fin. Ainsi s’achève ce régime d’exception dans lequel les pouvoirs de police administrative sont décuplés. En réalité, il va être aussitôt renouvelé, jusqu’au 26 mai, ainsi que l’a voté, le 16 février, l’Assemblée nationale. La menace terroriste « est plus élevée que jamais », avait alors affirmé le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, devant les députés.

Le bilan de l’état d’urgence est pourtant diversement apprécié. Mercredi 24 février, dans son rapport annuel, Amnesty International s’en est pris à la réponse « liberticide » de la France aux attentats terroristes de 2015. L’ONG juge l’état d’urgence disproportionné et estime que sa mise en œuvre a donné lieu à des « dérives ».

Le recours aux mesures de police administrative qu’il autorise ne connaît en tout cas plus la ferveur des débuts. Ainsi, le rythme des perquisitions a considérablement ralenti : « La cadence est moins soutenue », confirme la préfecture d’Auvergne-Rhône-Alpes. « C’est beaucoup plus modeste, corrobore le préfet du Val-d’Oise, Yannick Blanc. On avait un stock de personnes sur lesquelles on avait des soupçons et les perquisitions ont permis de vérifier ou d’infirmer ces soupçons. »

Et ledit stock s’épuise… Pour un résultat pas forcément spectaculaire : les 3 397 perquisitions opérées n’ont débouché sur l’ouverture que de cinq procédures par le parquet antiterroriste de Paris. Elles ont aussi permis la saisie de 587 armes (sachant qu’un sabre japonais est considéré comme une arme), dont quarante-deux armes de guerre, et 254 découvertes de stupéfiants. « Même quand on ne trouve rien, c’est un bon résultat, considère pourtant un préfet, sous le couvert de l’anonymat. Ça permet de lever des doutes. » Et d’alimenter les fichiers de renseignement.

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« On avait ratissé relativement large »

Quant aux assignations à résidence, autre mesure phare de l’état d’urgence, il y en avait, mercredi 24 février, 274 toujours en vigueur. Celles-ci deviendront, de facto, caduques vendredi 26, à minuit. Combien seront renouvelées ? « Nous allons passer à moins de cent assignations dès jeudi », annonce au Monde le ministère de l’intérieur, qui explique se limiter « aux cas les plus lourds ». Dans le Val-d’Oise par exemple, le nombre d’assignés va passer de vingt à six :

« Dans l’urgence, on avait ratissé relativement large en fonction d’informations dont certaines se sont révélées partielles ou inexactes, justifie le préfet Yannick Blanc. On a fait un travail de remise à plat. »

La réduction de voilure est substantielle, et sa mise en œuvre précède la prolongation de l’état d’urgence. Ainsi, sans attendre les douze coups de minuit, vendredi 26 février, le ministère de l’intérieur a déjà abrogé de son propre chef cinquante-neuf assignations. Place Beauvau, on précise que vingt-sept l’ont été naturellement, car elles étaient circonscrites à la durée de la COP21, à Paris. Faut-il voir dans les trente-deux restantes de discrets aveux d’excès de zèle de la part des autorités ?

C’est ce que semblent considérer cinq assignés qui devaient déposer une plainte jeudi matin contre Bernard Cazeneuve et son délégataire, l’ex-directeur des libertés publiques, Thomas Andrieu, aujourd’hui directeur de cabinet du garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, pour « atteinte à la liberté individuelle », « abstention volontaire de mettre fin à une privation illégale de liberté, ainsi que pour des faits de discrimination ».

Ces cinq personnes ont vu leur assignation abrogée par les autorités sans qu’aucun élément nouveau ne soit apparu à leur dossier. La preuve, selon leur avocat Me Arié Alimi, que « le ministère et son délégataire savaient que les motifs étaient totalement flous et peut-être même faux ». Lui considère que les autorités ont donc « arbitrairement maintenu des assignations ». Et c’est cette « infraction pénale » qu’il entend poursuivre devant la Cour de justice de la République, pour le ministre de l’intérieur, et auprès du doyen des juges d’instruction, pour M. Andrieu.

Quatorze « abrogations intempestives »

La Ligue des droits de l’homme (LDH) et la Fédération internationale des droits de l’homme se sont jointes aux plaintes : « Il n’y a pas de raison que les hommes politiques bénéficient de l’impunité institutionnelle », insiste Michel Tubiana, président de la LDH.

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Si leur issue juridique est incertaine, ces plaintes mettent une fois de plus en lumière le rôle des « notes blanches », anonymes et non sourcées, produites par les services de renseignement. Elles ont été au fondement des assignations décidées pendant l’état d’urgence. Dans leurs recours, les plaignants les assimilent à des « mensonges ». Ils considèrent en outre que le « dénominateur commun » qui a motivé les mesures prises à leur encontre est « la pratique de la religion musulmane » et le raisonnement du ministère selon lequel « toute la population musulmane est potentiellement un djihadiste dissimulé ».

Les plaintes mettent également en évidence le fait que les abrogations sont toutes intervenues « quelques jours avant ou la veille de l’audience devant le tribunal administratif ou le Conseil d’Etat », souligne Me Alimi. Un moyen d’éviter la bévue d’une suspension ?

La pratique semble en tout cas se multiplier : Lila Charef, juriste du Collectif contre l’islamophobie en France, a recensé, parmi les dossiers qu’elle suit, quatorze « abrogations intempestives » intervenues juste avant des audiences.

« L’enquête a été archibâclée »

Sihem Zine n’en compte pas moins de neuf de son côté. Cette militante est sur le point de fonder l’association Action droits des musulmans avec Halim Adelmalek, qui a obtenu la suspension de son assignation devant le Conseil d’Etat, le 22 janvier. Ils veulent venir en aide aux « victimes collatérales de l’état d’urgence ». Parmi elles, Issa B. Ce père de famille était assigné depuis le 4 décembre à son domicile, à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) :

« L’audience en appel devait se tenir ce matin [mercredi 24 février] mais, hier soir, à 23 heures, les policiers se sont déplacés chez lui pour lui signifier l’abrogation, relate son avocat, MBruno Vinay. Ils se sont rendu compte que ça n’allait pas tenir. »

Issa B. avait fait l’objet d’une dénonciation par une amie de sa femme, qui avait signalé aux autorités un départ imminent pour la Syrie. La famille comptait en réalité se rendre en Turquie pour les vacances. « L’enquête a été archibâclée. Le ministère de l’intérieur n’a rien vérifié », retrace Me Vinay. Des renseignements sujets à caution ? Avant l’abrogation, Issa B. témoignait : « Je suis privé de liberté, de mes droits fondamentaux d’aller et venir pour nourrir et prendre en charge mon foyer. Je subis l’humiliation en pointant trois fois par jour, alors que je voulais juste offrir des vacances à ma famille et vivre ma foi dignement. »

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