"Adapter le droit d'auteur à l'ère d'Internet." C'est l'objectif qu'a annoncé jeudi 4 novembre David Cameron, le premier ministre britannique. "Les fondateurs de Google ont dit qu'ils n'auraient pas pu créer leur entreprise en Grande-Bretagne. (...) Ils pensent que notre droit d'auteur n'est pas aussi favorable à l'innovation que l'est le droit américain. (...) Je veux encourager la créativité et l'innovation comme le font les Etats-Unis", a déclaré le premier ministre.
Concrètement, un état des lieux du droit d'auteur britannique sera lancée d'ici à avril, et devra déboucher sur des propositions législatives. Mais le premier ministre a d'ores et déjà suggéré plusieurs évolutions qu'il souhaite transcrire dans le droit britannique, notamment pour le rendre moins favorable aux ayants droit et plus souple pour les citoyens.
Les Américains "ont ce qu'ils appellent le 'fair use', qui, estiment certains, donne plus de liberté aux entreprises pour créer de nouveaux produits et services", a notamment déclaré David Cameron. En droit états-unien, le "fair use" ("utilisation équitable") permet à tout un chacun d'utiliser librement des extraits d'œuvres soumises au droit d'auteur pour un certain nombre d'utilisations spécifiques : critique, enseignement, travaux universitaires, parodies... Un concept équivalent existe bien en droit anglais, où il est baptisé "fair dealing", mais ses contours sont flous et sa portée a été limitée à plusieurs reprises. En Grande-Bretagne, la reproduction d'extraits à des fins de recherche est par exemple limitée aux recherches publiques.
DÉVELOPPER L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE
La révision du droit souhaitée par M. Cameron est liée à un projet que le premier ministre veut ériger au rang de modèle pour le développement économique du pays : les "Silicon Marshes" – en référence à la Silicon Valley américaine –, une zone de l'est de Londres où se construit un vaste centre de recherches et d'affaires qui doit accueillir des dizaines d'entreprises de nouvelles technologies.
M. Cameron a annoncé jeudi que de très grands noms du secteur, dont Google, Facebook, Vodafone ou Cisco avaient accepté d'y installer des centres de recherche ou des bureaux. D'autres "pôles de compétitivité" devraient être implantés ailleurs dans le pays, avec des financements régionaux.
Cette politique de développement ne fait cependant pas l'unanimité, y compris dans le secteur des nouvelles technologies : les éditeurs de jeux vidéo, qui réclament au gouvernement des abattements d'impôts semblables à ceux existant au Canada ou en France, ont estimé que les politiques de soutien ne devraient pas être régionales mais nationales.
La réforme du droit d'auteur évoquée par M. Cameron devrait cependant être appréciée par plusieurs des entreprises qui s'installeront dans les "Silicon Marshes". Google, notamment, mène campagne depuis plus d'un an pour l'adoption d'un loi sur le "fair use" au Royaume-Uni. M. Cameron n'a pas précisé si l'implantation du moteur de recherche dans l'Est londonien, où il créera un pôle de recherche, était conditionnée à une évolution du droit d'auteur.
SE DISTINGUER DES TRAVAILLISTES
Pour David Cameron, une réforme plus souple du droit d'auteur permettrait également de se distinguer de ses prédécesseurs travaillistes. Favorable à des sanctions accrues contre le téléchargement illégal, il a soutenu, tout en critiquant la manière dont le débat avait été mené, la très controversée Digital Economy Bill votée à l'époque par les députés travaillistes. Le texte, entré en application en avril, prévoit notamment une procédure de riposte graduée en trois étapes, similaire à celle de la loi Hadopi française.
Pour les adversaires de la loi, l'un de ses principaux défauts est qu'elle renforce les détenteurs de droits, sans protéger les citoyens contre les recours abusifs : le texte ne prévoit pas, par exemple, d'exception de copie privée comme il en existe dans de nombreux pays, ni de souplesse d'application pour les parodies ou les usages scolaires. En proposant de réintroduire ces aspects dans le droit britannique, M. Cameron donnerait satisfaction à une partie des opposants de la loi.
M. Cameron tient également à soigner l'image, qu'il cultive soigneusement, d'homme en phase avec les nouvelles technologies, que ce soit en rencontrant Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, ou en s'affichant avec une tablette iPad. Une stratégie à long terme : en 2006, M. Cameron avait eu cette phrase assassine contre celui qui n'était pas encore son prédécesseur, Gordon Brown : "C'est un politicien analogique dans une ère numérique. Il est le passé."
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