Ils se sont rencontrés à Capri, le 31 décembre dernier... Invités à passer le réveillon chez une amie commune, le réalisateur et le violoniste ne savent rien l'un de l'autre. Michel Hazanavicius ne connait pas la musique d'Olen Cesari. Olen, lui, n'a jamais entendu le nom du cinéaste; il ne sait pas non plus qu'il a réalisé un film, The Artist, qui remportera cinq Oscars un mois et demi plus tard. Mais, l'entente entre eux est immédiate. Le violoniste l'invite alors à un concert qu'il donne le lendemain matin dans une petite église perchée sur les hauteurs de l'île. "A 11 heures, j'ai grimpé la montagne avec ma femme Bérénice et nos quatre enfants - 13 ans, 8 ans, 3 ans et... 3 mois et demi. Plus d'une heure de marche après avoir fait la fête jusqu'à l'aube: un vrai chemin de croix!", raconte Michel Hazanavicius en riant. Arrivés au sommet, le réalisateur et comédienne n'en reviennent pas: "L'endroit était magique, silencieux, hors du temps", poursuit Hazanavicius. "Nous étions une vingtaine dans cette chapelle qui domine l'île. Olen a joué une longue et merveilleuse improvisation inspirée de Bach... "

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Le réalisateur ne se doute pas encore pas encore que le violoniste improvise avec le même talent sur Jimi Hendrix, Tito Puente ou Astor Piazzolla. "Après, nous sommes restés en silence, comme en méditation. Olen a repris son violon et a joué l'Ave Maria de Schubert." Michel Hazanavicius affirme ne pas être pas un mélomane, mais au fil de la conversation, on découvre un passionné de musique... très pointu. "Je ne suis pas un compilateur d'informations musicales. J'oublie, par exemple, le nom des chefs d'orchestre. Il est vrai que j'écoute énormément de disques, de tous les styles et de toutes les époques (voir encadré). Mais mon rapport à la musique est totalement émotionnel: elle me parle ou pas. Et la musique de Olen Cesari me touche profondément. C'est un tel virtuose qu'il peut se permettre de tout oublier et de suivre sa pensée, ses émotions musicales... Ce concert du 1er janvier a été pour Bérénice et moi, ainsi que pour nos enfants, un vrai moment de grâce et de douceur."

Le violoniste et le réalisateur passent le reste de la journée ensemble, parlent de leurs vies d'artistes pleines de péripéties: "Michel m'a fait part des difficultés qu'il avait eues à réaliser son film. Il m'a dit que pour le terminer, il avait dû vendre son appartement", raconte Olen Cesari. De son côté, le cinéaste est "très admiratif et impressionné", comme il le dit, en découvrant le parcours de ce musicien né à Tirana il y a 36 ans. Olen est un obstiné: à 3 ans sa mère, musicienne, lui offre un violon miniature... Il l'explore, puis tel un Jimi Hendrix au festival de Monterey, il détruit son instrument. "J'en ai cassé trois ou quatre", dit-il en riant.

En le regardant parler, on imagine l'enfant prodige qu'il a été... Diplômé à l'université de musique de Tirana à l'âge 13 ans (un exploit!), Olen gagne une bourse d'études pour entrer au conservatoire de Santa Cecilia, à Rome: "Cette opportunité m'a permis de fuir le régime totalitaire de mon pays. Je suis arrivé à Rome avec ma mère... Nous n'avions pas un rond." Encore une fois il brûle les étapes et boucle le cursus du conservatoire - dix ans d'études -, en deux ans! A 17 ans, il se perfectionne au prestigieux Mozarteum de Salzbourg. "De retour à Rome, je jouais comme musicien de rue à la Place Navonne pour gagner de l'argent. C'est là que j'ai rencontré un musicien américain que j'ai suivi aux Etats-Unis, où je suis resté deux ans." A 18 ans, Olen Cesari débarque à New York avec 1$ en poche et son violon. Au bout d'un mois, il se retrouve à jouer du blues, du jazz et du rock dans des petits cafés en compagnie de Lenny Kravitz, Sheryl Crow ou du groupe Maroon 5...

Virtuose de musique classique, bluesman, passionné de tango, Olen Cesari joue avec les plus grands musiciens et chanteurs Italiens. En 1995, il rencontre Roberto Kunstler, un chanteur, guitariste et harmoniciste formidable qui sera son invité, le 2 avril, au Palace: "Roberto écrit des chansons merveilleuses. C'est un improvisateur incroyable, une sorte de websurfer: on dirait qu'il a un google musical au bout de ses doigts et dans sa voix... Il voyage dans des milliards d'informations et il crache sa vérité, à fleur de peau, profondément humaine." Au Palace on entendra également un percussionniste d'exception, Simone Haggiag, et le bassiste cubain Shama Milan.

Un premier album, seulement maintenant

Olen Cesari a aussi eu une très longue collaboration avec le regretté Lucio Dalla: on peut entendre la voix de ce dernier sur Unexpected, l'album que Olen vient de sortir. Son premier! On se demande pourquoi il a attendu autant d'années pour se lancer dans un projet personnel... "Parce que je ne ressentais pas le besoin de faire un disque, tout simplement.", explique le musicien. Jusqu'au jour où, en 2009, lors du terrible tremblement de terre de l'Aquila, on l'appelle pour faire un concert "sous les étoiles" devant une population meurtrie: "J'avais préparé un programme, mais devant ces 15 000 personnes désemparées, j'ai déchiré mes partitions et leur ai dit: Donnez-moi le nom d'un pays et je vous y emmène avec mon violon! Les gens ont crié: L'Amérique! Et j'ai joué "Hit the Road Jack" de Robert Johnson. Nous avons fini par faire le tour du monde. En rentrant à Rome, j'avais déjà mon disque en tête."

Unexpected, un album dans lequel chaque titre est teinté des sonorités d'un pays - de la Turquie à l'Inde, d'Israël à l'Australie - témoigne d'une personnalité forte et rugueuse ainsi que d'une technique exceptionnelle, toujours à la recherche du "vrai son" et jamais esthétisante. "Toutes les musiques peuvent être cinématographiques, commente Michel Hazanavicius. Mais celle de Olen possède quelque chose de singulier. Elle est mouvante, pleine de contrastes. En pensant à l'une de ses improvisations en particulier, je me dis qu'elle pourrait aussi bien accompagner une scène d'amour ou de deuil. C'est une musique qui marche bien en contrepoint avec l'image... Comme la musique de Beethoven qui est parfaite sur la scène ultra violente d'Orange mécanique." Michel Hazanavicius ne cache pas qu'il aimerait travailler avec le violoniste. Entre temps, Olen Cesari a vu The Artist. Depuis, il rêve, "en muet", de jouer sur la BO du prochain film du Maître français.

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