«Avoir su qu'en donnant la vie j'allais fournir de la chair à canon, je n'aurais peut-être pas eu d'enfant.» La phrase, déclamée par une comédienne dans une publicité antimilitariste de la Fédération des femmes du Québec, a mis le feu aux poudres jeudi. Si bien qu'en fin de journée hier, la FFQ a décidé de la retirer de sa vidéo diffusée sur YouTube. La FFQ a-t-elle erré en concevant ce message-choc? Nos deux chroniqueuses vous donnent leur point de vue sur la question.

Est-il normal que les Forces armées canadiennes fournissent aux enseignants, dès la maternelle, du matériel de propagande sur la marine déguisé en trousse éducative? Est-il normal que l'armée soit la bienvenue dans les foires d'emploi à l'école secondaire? Est-il normal que l'on accepte sans rien dire que le gouvernement Harper poursuive en Afghanistan une guerre meurtrière sous de mauvais prétextes?

Ces questions fondamentales sont soulevées par la publicité antimilitariste controversée de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Le principal mérite de cette capsule web est d'avoir réussi à susciter un débat sur des enjeux cruciaux. Son principal défaut est d'y être arrivé en manquant de respect envers les mères de soldats.

On ne choisit pas le destin de son enfant. Et on peut difficilement imaginer pire douleur pour une mère que celle de perdre son enfant. Faire dire à une mère (fictive) de soldat: «Avoir su qu'en donnant la vie, j'allais fournir de la chair à canon, je n'aurais peut-être pas eu d'enfants» est injurieux. Que la FFQ ne s'en soit pas rendu compte par elle-même relève d'un manque de jugement sidérant.

On dira bien sûr qu'une dénonciation-choc qui ne choque personne n'est pas une dénonciation-choc. On ne peut dénoncer les mensonges de la guerre comme on chante une berceuse. C'est vrai. Mais une dénonciation a beaucoup plus de poids quand l'émotion qu'on y insuffle est vraie. Profonde sans être appuyée. Capable d'éveiller des consciences sans pour autant être instrumentalisée. Bref, quand l'émotion n'est pas justement que de la chair à canon politique. Je pense au brillant film Incendies, qui m'habite encore deux semaines après l'avoir vu. Comme dénonciation de la folie de la guerre, je n'ai pas vu mieux.

Provoquer une réflexion sur le sens à donner à la mort d'un enfant à la guerre, comme a voulu le faire la FFQ, est tout à fait légitime. En voulant agir sur ce terrain, la FFQ n'a d'ailleurs rien inventé. Aux États-Unis comme ici, des mères de soldats morts à la guerre tiennent elles-mêmes ce genre de discours. Mais tout est dans la manière. Et ici, il faut admettre que la manière était tout autant maladroite que blessante. La FFQ l'a finalement elle-même admis hier, en retirant l'extrait le plus controversé de sa capsule et en s'excusant auprès des mères de soldats insultées. Il vaut mieux tard que jamais.

Une fois que l'on a dit cela, une fois que celles qui avaient à s'excuser se sont excusées, il me semble que l'on fait fausse route en faisant le procès de la FFQ. Il serait beaucoup plus pertinent de s'intéresser à l'objet même de la dénonciation.

Quand le gouvernement Harper prétend que la guerre en Afghanistan est menée pour la démocratie et la libération des femmes, il trompe la population. Car depuis sept ans, cette mission n'a ni sauvé les femmes ni instauré la démocratie. Que des féministes nous le rappellent et refusent que cette guerre soit menée en leur nom, par leurs propres enfants, m'apparaît tout à fait légitime. Qu'elles dénoncent aussi le recrutement insidieux qui se fait par la bande dans les écoles l'est aussi.

Apprendre que les Forces armées canadiennes fournissent aux enseignants, de la maternelle à l'université, du matériel de propagande soi-disant éducatif m'inquiète beaucoup plus que les errements de la FFQ. Savoir que l'armée est présente dans les foires d'emploi de 350 écoles secondaires de la région de Montréal et de 200 autres de la région de Québec me trouble beaucoup plus qu'une publicité maladroite. Constater que, dans ces deux régions, seulement six écoles secondaires et 18 cégeps (1), sous la pression de leurs associations étudiantes ou de la direction, ont osé dire à l'armée qu'elle n'était pas la bienvenue me déçoit.

Il faut avoir 18 ans pour voter. Il faut avoir 18 ans pour acheter un billet de loterie. Mais on aurait le droit, avec la bénédiction de l'école, cet espace civique officiellement non violent, de faire de la propagande militariste déguisée en proposition de carrière auprès d'élèves de 15 ou 16 ans? L'absurdité ne tue pas. La guerre, c'est une autre histoire.

(1) Selon les données fournies par les Forces canadiennes.