À compter de ce soir, le Metropolitan Opera de New York va présenter en rafale, trois fois plutôt qu'une, le cycle des quatre opéras du Ring de Richard Wagner mis en scène par Robert Lepage depuis deux ans. L'occasion ou jamais pour le créateur québécois de faire le bilan d'une aventure sans pareille.

Robert Lepage compare le fameux cycle de la Tétralogie de Wagner (Der Ring des Nibelungen) à un marathon, pour les interprètes, dont certains comme Deborah Voigt et Bryn Terfel participeront à trois de ces quatre spectacles, mais aussi pour les spectateurs qui vont se taper en quelques jours ces quatre opéras qui totalisent 16 heures.

«Tu ne t'assois pas sur ton siège de la même manière que quand tu vas voir un opéra ordinaire, dit Lepage joint au téléphone à New York. Le Ring, c'est un ensemble, c'est un cosmos, t'es hanté par ce que tu vas voir. Les chanteurs sont beaucoup plus relaxes, plus convaincus du show et moins nerveux parce qu'ils connaissent les tenants et les aboutissants du concept. J'ai même l'impression qu'ils sont plus fidèles à ce qu'on essayait de faire au départ parce qu'au début, tu te heurtes à toutes sortes de sensibilités, de réticences, de craintes. Et il y a toute la nouvelle énergie des nouveaux chanteurs. En répétant Das Rheingold, on travaille avec un nouveau Loge, un chanteur tchèque qui arrive avec toute une autre proposition.»

Dures critiques

Lepage et son complice Neilson Vignola n'ont évidemment pas le temps ni les moyens de faire des changements en profondeur. «Il y a des idées, surtout dans les premières productions (Das Rheingold et Die Walküre), qui ont été installées et qui n'ont pas nécessairement toujours été comprises, mais qui le seront si les gens voient tout le cycle, explique le metteur en scène. Je pense que les critiques les plus dures au début se sont vraiment adoucies avec le temps, justement parce qu'à un moment donné, ils ont saisi ça. Le cycle complet rend davantage justice au concept du metteur en scène.»

L'impressionnante machine de scène de 24 pales amovibles créée par Lepage et son équipe a monopolisé l'attention au début, certains critiques la trouvant envahissante tandis que d'autres l'estimaient trop discrète pour son coût estimé à 16 millions de dollars par le New York Times. «Au début, la machine faisait beaucoup de bruit, reconnaît Lepage. Ça nous a pris quatre shows avant de résoudre tous les problèmes ce qui fait que maintenant, elle est extrêmement silencieuse. Mais j'ai l'impression que, souvent, ces critiques ou ces remarques sont des excuses pour ne pas parler des vraies affaires.»

Un impact énorme

Outre le compositeur de génie et l'homme de scène qu'il admirait, Lepage a découvert en Wagner un auteur et un librettiste fascinants dont il adaptera peut-être le Ring au théâtre un de ces jours. «C'est pas juste un kick que j'ai eu, c'est un grand moment dans mon éducation au niveau de l'opéra et de la dramaturgie, insiste Lepage. Wagner a écrit une grande chose, évidemment tirée des sagas islandaises, mais il en a quand même fait sa propre affaire avec un sens de la dramaturgie et de la poésie absolument phénoménal. J'imagine que je ne suis pas le premier à penser à faire soit un film, soit une pièce de théâtre à partir de ça; il y en a sûrement d'autres qui ont dû se casser les dents une couple de fois là-dessus parce que c'est énorme. Il y a toute l'histoire du monde là-dedans.»

Après la folle aventure du Ring, Lepage va prendre quelque peu ses distances de l'opéra même s'il prépare pour le Met The Tempest du jeune compositeur britannique Thomas Ades, qui en sera également le chef d'orchestre, et dont la première aura lieu le 23 octobre prochain. Lepage dit qu'il planche également sur un «gros gros projet» au Met pour lequel il se donne quelques années. Selon le New York Times, il s'agirait de l'opéra Saint François d'Assise d'Olivier Messiaen, prévu pour 2017, avec Eric Owens, l'Alberich du Ring, dans le rôle principal.

«Le Met est très intéressé à continuer à travailler avec nous. Il nous a même volé notre directeur technique, Éric Gautron, qui est devenu le bras droit du big boss. On travaille avec des petits jeunes qui ont des piercings et du jour au lendemain, ils portent la cravate», dit Lepage en pouffant de rire.

Plus sérieux, il ajoute: «Ex Machina est d'abord une compagnie de théâtre et c'est sûr que les opéras ont commencé à peser lourd depuis six ou sept ans. J'ai un nouveau one man show qui est sur la glace depuis trois ou quatre ans et je ne sais pas quand je vais pouvoir le faire. On a aussi une nouvelle création, qui est une tétralogie d'ailleurs (rire étouffé): quatre spectacles de trois heures sur le thème des cartes à jouer. Le projet s'appelle Jeux de cartes, mais le premier spectacle s'appelle Pique, le deuxième va s'appeler Coeur, le troisième Carreau et le dernier Trèfle. On commence à Madrid début mai et on sera au festival Luminato de Toronto en juin. On devrait jouer à Québec et Montréal l'année prochaine.»

Le raconteur

Lepage ne jouera pas dans Jeux de cartes, mais il trouve important de garder le contact avec la scène que lui procurent ses one man shows. «Ça dépend aussi de pourquoi tu fais de la mise en scène, explique-t-il. Moi, je ne me considère jamais vraiment comme un metteur en scène. Je suis un facilitateur d'affaires, un mobilisateur, mais d'abord et avant tout un raconteur. J'aime ça raconter des histoires.»

Il reprend: «S'il y a quelque chose d'un peu injuste dans toute l'aventure du Ring c'est que parce que la machine de scène était un objet volant non identifié débarqué au Met, les gens n'ont parlé que de ça. Mais j'ai passé autant de temps dans la salle de répétition, sans la machine, à discuter avec les chanteurs, à aider Deborah Voigt à aboutir et à diriger un chanteur qui a hérité du rôle de Siegfried à une semaine de la première. Très souvent, la critique était un peu aigre-douce: quelqu'un qui avait complètement détesté la proposition scénique ajoutait que, heureusement, les chanteurs avaient sauvé la mise par leur interprétation. Oui, mais qui donc s'est occupé de l'interprétation?»

Outre les deux projets de théâtre déjà mentionnés, Lepage ne manque pas de travail. Dont les trois courts métrages qu'il réalise avec Pedro Pires à partir du personnage de Marie dans sa pièce Lipsynch. «On en a un de complété qui marche très bien, on finit la production du deuxième et on retourne en tournage pour le troisième.» Il y a aussi l'aventure du Moulin à images qui se poursuivra cet été à Québec. Et Lepage suit de près l'évolution du Diamant, «un grand plateau européen» qui, fin 2014, début 2015, ne servira pas qu'à Ex Machina, mais pourra également accueillir le Carrefour de théâtre de Québec, le Festival d'opéra de Québec et des spectacles de cirque. Enfin, concède-t-il du bout des lèvres, il y a «quelque chose dans l'air» avec le Cirque du Soleil dont les portes lui sont toujours ouvertes.

«Il y a tellement de projets que parfois j'en oublie», ajoute-t-il en riant.

photo fournie par le Metropolitain opera, archives AP

L'impressionnante machine de scène de 24 pales amovibles créée par Lepage et son équipe a monopolisé l'attention au début, certains critiques la trouvant envahissante tandis que d'autres l'estimaient trop discrète pour son coût estimé à 16 millions de dollars par le New York Times.