Morte jeudi 17 mai, chez elle à Paris, à l'âge de 79 ans, France Clidat eût été japonaise que l'Empire du soleil levant l'aurait sacrée Trésor national vivant. La France l'a faite officier de la Légion d'honneur et commandeur des Arts et Lettres, puis l'a admirée de loin, passant finalement presque à côté d'une pianiste singulière, d'un maître qui enseignait à des élèves venus du monde entier.
Elle-même sortie de la classe de Lazare Lévy, au Conservatoire de Paris, France Clidat avait reçu de son maître une technique qui lui permettait de plier le clavier aux exigences parfois invraisemblables des compositeurs. La pianiste avait toutes les nuances de l'arc-en-ciel dans sa besace, le plein soleil comme l'ombre fuligineuse ; elle pouvait faire sonner droit et effacé le Satie le plus nu, "antique" et déshérité, celui des Gymnopédies, comme terrasser dans un combat de titans les Etudes d'exécution transcendante de Franz Liszt, œuvres qui portent si bien leur nom et font si peur aux pianistes. Et jouer comme si peu, les deux Concertos de Chopin que, par chance, elle a mis sur disque.
Liszt, compositeur dont France Clidat, qui avait reçu le grand prix Franz Liszt à Budapest en 1956, enregistrera en première mondiale l'intégrale de la musique publiée de son vivant. Cette somme, récemment rééditée par Decca, sera sa gloire et son tombeau: les prix pleuvront, les éloges avec, mais France Clidat se traînera le surnom de "Madame Liszt": on "refusera" désormais de l'écouter dans d'autres compositeurs.
L'art de la litote
La France l'embaumera et l'écoutera moins: Liszt était mal vu. France Clidat triomphera au Japon pendant que les orchestres de la Radio et l'Orchestre de Paris l'oublieront. L'éditeur Forlane se l'attachera néanmoins et l'enregistrera, à nouveau dans Liszt, mais aussi dans les grands concertos du répertoire, et dans des récitals consacrés à Chopin, Chabrier, Couperin, Albéniz, Granados, que France Clidat jouait avec verve, élégance, et un art de la litote admirable. Forlane osera même une intégrale de l'œuvre pianistique d'Erik Satie: l'anti-Liszt. Et c'est une merveille adoubée par Henri Sauguet, l'élève et ami du compositeur.
Voici une petite quinzaine d'années, France Clidat avait donné un récital salle Gaveau, à Paris, provoquant un retour d'affection dans un public qui s'était soudain élargi. Elle avait joué Chopin d'une façon si parfaitement taillée dans un matériau sonore scintillant, nimbé d'une nostalgie si émouvante que la salle en avait été retournée. Elle vint ensuite au Festival de la Roque d'Anthéron. On se souvient encore d'un Widmung lancé aux étoiles, aussi étreignant que le premier des Amours du poète du même Schumann chanté par Dietrich Fischer Dieskau, le baryton allemand qui vient de mourir. S'il lui venait pianistiquement et esthétiquement de la technique enseignée par Chopin, spirituellement il surgissait du fond de ce que le XIXe siècle appelait l'âme, de ce romantisme qui n'a été jamais mieux que sous les doigts de cette artiste singulière "le classicisme surmonté" dont André Gide parlait.
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