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Les militants de la COP21, cibles de l’état d’urgence

Depuis le 14 novembre, de nombreuses perquisitions et assignations à résidence ont été lancées contre les milieux « zadistes », écologistes et alternatifs.

Par  et

Publié le 27 novembre 2015 à 09h09, modifié le 28 novembre 2015 à 19h25

Temps de Lecture 5 min.

A Genève, le 28 novembre.

Quelques jours avant l’ouverture de la COP21, dimanche 29 novembre, 24 militants écologistes ont été assignés à résidence dans toute la France. Selon nos informations, au moins six personnes ont été assignées à résidence à Rennes, ainsi qu’un membre de l’équipe juridique de la Coalition Climat21, qui rassemble 130 associations, organisations non-gouvernementales et syndicats. Les policiers ont également tenté de notifier cette mesure à plusieurs personnes à Rouen et à Lyon sans parvenir à les trouver. Des perquisitions ont eu lieu à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) et… chez des maraîchers bios de Dordogne.

Les assignations que Le Monde a pu consulter prennent fin le 12 décembre, soit au lendemain de la fin de la conférence sur le climat. Elles visent clairement les éventuels mouvements revendicatifs qui pourraient entourer l’événement. « Des mots d’ordre ont circulé pour appeler à des actions revendicatives violentes », assurent les arrêtés, avant d’affirmer « que la forte mobilisation des forces de sécurité pour lutter contre la menace terroriste ne saurait être détournée pour répondre aux risques d’ordre public liés à de telles manifestations ».

Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a justifié, samedi 28 novembre, ces mesures administratives :

« Nous avons assigné 24 personnes parce qu’elles avaient témoigné d’actes violents par le passé à l’occasion de manifestations et qu’elles avaient exprimé le souhait de ne pas respecter les principes de l’état d’urgence. [...] J’assume totalement cette fermeté. »

Mais pour la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Emmanuelle Cosse, « il n’est pas acceptable que des militants de l’écologie soient pris pour cible à quelques jours de la COP21. Nous avons exigé que dans le cadre du contrôle parlementaire soit examiné l’ensemble des raisons qui ont conduit à ces assignations et perquisitions. »

La loi du 20 novembre sur l’état d’urgence autorise l’assignation à résidence d’une personne s’il existe « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». La Coalition climat 21 a protesté samedi contre des « abus manifestes » et demandé aux autorités d’y mettre fin immédiatement. « Nous, organisations de la société civile, (...) sommes convaincues que nous ne parviendrons pas à endiguer le réchauffement climatique en renonçant à nos libertés et à nos droits fondamentaux », écrit la Coalition dans un communiqué.

Les débordements éventuels lors de la grande Marche mondiale pour le climat qui devait avoir lieu le 29 novembre inquiètent le gouvernement depuis des semaines. Elle a finalement été interdite à la suite des attentats du 13 novembre. Si les organisateurs ont prévu des modes d’expression alternatifs, plusieurs associations ou collectifs n’ont pas renoncé. Mardi 24, plusieurs intellectuels ont ainsi lancé, dans Libération, un appel à « braver l’état d’urgence » et l’événement « Marche mondiale pour le climat (appel à la désobéissance) » créé sur Facebook réunissait, vendredi, 4 700 participants.

« Ils ont fouillé partout »

Au squat du Massicot, à Ivry-sur-Seine, le réveil a été plus « mouvementé » que d’ordinaire. « Vers 8 heures, jeudi, un ami ouvre la porte, il se fait menotter. Puis deux flics braquent leur arme sur moi et me disent “à genoux !” » « Regroupés dans un coin de la pièce sur un canapé », les squatteurs assistent aux investigations. « Ils devaient être une trentaine de policiers. Ils ont fouillé partout, vidé les placards, soulevé les lits, cherché dans nos papiers. Mais ils n’ont rien trouvé. » L’un des dix habitants, Koné D., 35 ans, est le seul à être placé en garde à vue. « On m’a posé des questions sur la COP21. On m’a demandé si on allait recevoir des blacks blocs dans le squat, si j’allais à la manif de dimanche. » Il est relâché « vers midi ou 13 heures », un peu « traumatisé. »

COP21 toujours : en Dordogne, mercredi, à 7 heures, les forces de l’ordre ont perquisitionné la ferme d’un couple de maraîchers bios.

« Ils nous ont parlé de la COP21, persuadés de viser dans le mille. L’un des gendarmes nous a demandé : “La COP21, les sommets européens, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ?”, raconte Elodie. Puis ils nous ont demandé si on avait des bombes ou des armes. En fait, ils ne savaient pas trop ce qu’ils disaient… »

Membre de la Confédération nationale du travail, un syndicat d’inspiration anarchiste, la cultivatrice fait partie des premières militantes à avoir occupé Notre-Dame-des-Landes pour protester contre le projet d’aéroport. « C’était il y a trois ans et c’était le seul truc tangible qu’ils avaient ! Depuis, nous avons ce maraîchage, j’ai un enfant de 2 ans… » Ordinateurs, téléphones portables, tout y passe : « Ils ont branché des machines sur mon téléphone, ils m’ont dit que c’était un logiciel pour détecter des mots-clés. Mais je ne sais pas ce qu’ils ont fait des données… » Ses carnets ont été compulsés. Une inscription « Bruxelles » attire l’attention des enquêteurs. « Mon mari a tout simplement habité là-bas. Je leur ai dit : “Sérieusement, on a été perquisitionnés parce qu’on fait partie l’extrême gauche et vous vous mettez maintenant à imaginer un lien avec l’islamisme radical ?” »

Improvisation

A Rennes, où six personnes se sont vu signifier une assignation à résidence, même ambiance musclée. Dans l’un des appartements, les fonctionnaires sont arrivés jeudi vers 9 h 30. « Une quinzaine de policiers sont entrés arme au poing, en nous criant de nous allonger au sol. Puis ils nous ont menotté. J’ai pensé qu’ils allaient nous interpeller, ils ne nous disaient rien sur le cadre ou l’objet de leur présence. Ils ont fouillé chez nous, et c’est seulement à la fin qu’ils nous ont parlé des assignations », explique l’un des habitants.

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Le texte des arrêtés réserve des surprises. Pour l’un des militants, il est ainsi évoqué une « participation aux manifestations violentes anti-NDDL [aéroport de Notre-Dame-des-Landes] du 22 février 2014 à Nantes », alors qu’il n’a jamais été inquiété par la police ou la justice à ce sujet, et une « participation active aux manifestations violentes à l’encontre de la police à Pont-de-Buis (Finistère), les 23, 24, 25 octobre 2015 », alors qu’il peut établir qu’il n’y était pas. Des recours devant le tribunal administratif devaient être déposés, vendredi 27 novembre.

L’improvisation est encore plus flagrante dans d’autres villes de France. A Rouen, la police s’est présentée dans un appartement que les personnes assignées n’occupaient plus depuis plusieurs mois. A Lyon, plusieurs policiers en civil ont débarqué vers 18 heures dans une maison en colocation pour délivrer une assignation à résidence à un homme qui n’habitait plus là depuis près d’un an. La situation s’est tendue lorsque les forces de l’ordre ont souhaité inspecter la maison.

« Le petit jeu a duré vingt minutes, explique l’un des habitants du logement. Ils nous disaient : “On sait pas si c’est pas vous, il y a des gens en haut, on veut aller vérifier. On fait juste notre travail.” On leur a répondu que s’ils voulaient faire leur travail, ils pouvaient tout simplement appeler la caisse d’allocations pour vérifier les adresses. »

Des renforts ont été appelés, puis, après un coup de fil reçu par l’un des policiers, les fonctionnaires ont battu en retraite. Sans plus d’explications.

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