Valérie Lagrange, à contre-courant...

Jean-Noël Mirande poursuit ses portraits des grands noms oubliés de la culture française. Cette semaine, une égérie sixties.

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Valérie Lagrange.
Valérie Lagrange. © Sipa

Temps de lecture : 5 min



Elle vient volontiers vous chercher à la gare RER de Saint-Michel-sur-Orge, elle vit à quelques kilomètres de là, dans la maison de sa famille, simple et accueillante. À 70 ans, le regard est toujours intense, ses cheveux sont blancs, mais sa silhouette est la même, élégante, sans affectation. Le sourire doux et la voix mélodieuse de cette "égérie sixties" vous charment d'emblée, mais elle n'en joue pas. On tombe en séduction, mais elle vous invite à vous relever. Valérie Lagrange aime la simplicité dans les échanges. Aucun calcul dans son rapport aux autres, juste la joie de la rencontre, qu'elle a envie ou non de prolonger, des films qu'elle a envie de faire ou non, des chansons qu'elle veut écrire et chanter. Le contraire d'une carriériste, ce qu'elle reconnaît volontiers : "Une carrière à la va comme j'te pousse..."


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La vie pour lui



Aujourd'hui, on ne la voit presque plus. Elle ne fait que ce qu'elle aime : un projet de documentaire sur sa vie avec un jeune réalisateur de 25 ans, une idée d'album-concept où elle adapterait en français les chansons qui ont illuminé sa vie. Tout cela n'est qu'à l'état de projet, elle en a très envie, mais n'aspire pas à se battre. Elle aimerait bien que cela se fasse avec Patrick Zelnik, patron de Naïve, son complice des années Virgin.
Son dernier rôle au cinéma, en 2009, avec Sandrine Bonnaire l'a rendue heureuse.
"En ce moment, on ne me propose rien de vraiment intéressant. Une apparition dans un film avec Catherine Deneuve en ancienne miss France retrouvant ses copines de régiment. Je n'ai pas envie de tourner pour tourner. Une vieille miss, c'est un peu dégradant.",
Elle est comme ça, Valérie. Pas prête à tout. Et depuis l'accident de son compagnon, le compositeur Ian Jelfs, en 1989, sa vie est réglée sur la sienne. Il a besoin d'elle comme elle a besoin de lui. Est-elle héroïque ? Non, elle aime, tout simplement. Une vie pour un autre est le titre du récit poignant où elle a raconté comment sa vie a basculé, pourquoi elle consacre tout son temps à Ian. Valérie est une femme absolue, en accord avec son éthique. Ils sont devenus lucides face aux illusions des amitiés qui s'en vont. Faire face à l'isolement auquel conduisent la différence et l'indifférence. Si elle a fait des erreurs, elle ne les regrette pas, elle a toujours été guidée par un élan du coeur.

Chemins buissonniers


Il y a plusieurs périodes dans l'existence de Valérie Lagrange. De la quincaillerie familiale du boulevard Ornano à Paris, elle gardera le goût de l'hétéroclite. Elle devient actrice un peu par hasard, "en attendant de trouver un mari", disaient ses parents. La jument verte (1959) de Claude Autant-Lara d'après Marcel Aymé lui porte chance. C'est en tournant ce film avec Bourvil qu'elle prendra le nom de Lagrange, parce que de nombreuses scènes se passaient dans une grange. Elle enchaîne avec Jacques Deray, Roger Vadim, Philippe de Broca, Claude Lelouch, qui lui restera fidèle. Valérie aurait pu se contenter de rester une starlette, mais sa curiosité au mitan de ces années 1960 la pousse à se frotter à d'autres univers, chez Nadine Trintignant, Jean-Luc Godard, Philippe Garrel ou le très underground Marc'O. Valérie Lagrange ne sera jamais là où on l'attend, mais ne décevra jamais. Dans le même temps, elle mettra au monde un petit Jérôme, jouera Desdémone dans Othello et Célimène dans Le misanthrope. Elle enregistrera un album, Moitié ange, moitié bête", sur lequel elle chante La guérilla de Serge Gainsbourg. La ligne n'est pas droite, mais buissonnière.



Partir, revenir


Pour toute une génération, Valérie Lagrange fut une découverte en 1980. Brune de jais, tout de cuir vêtue, guitare en bandoulière, elle faisait irruption sur la scène du Palace après des années d'absence et de presque clandestinité.

Entourée de jeunes musiciens, à 38 ans, elle clamait sur une musique reggae Faut plus me la faire, chanson phare de l'album qu'elle venait d'enregistrer chez Virgin. Valérie Lagrange, la première artiste française signée à Londres par Richard Branson, revenait en pleine lumière avec un disque puissant, rock, aux accents de révolte. Une fidélité aux années baba cool, hippies, appelez-les comme vous voulez. Les soixante-huitards avaient déjà troqué leur col Mao contre le Rotary et s'apprêtaient à marcher dans un an dans les allées du pourvoir, lors d'un autre mois de mai. Valérie Lagrange irradiait. Toujours prête à dénoncer les injustices sans renier ses idéaux, elle faisait rêver et criait vengeance contre les souffrances de l'humanité. Depuis des années, on était sans nouvelles d'elle. À part son nom au générique d'un film de Barbet Schroeder et de trois Lelouch, pas un disque. Rien. Où Valérie Lagrange était-elle passée ?




"Je suis allée au nord, je suis allée au sud"


Le printemps de mai 68 avait soufflé. Le 12 de ce mois-là, à 26 ans, elle décidait de partir, abandonnant maison, attaches et carrière. Elle faisait à l'époque partie de la bande de la Coupole avec Jacques Higelin, Louis Bertignac, Jean-Louis Aubert, Bulle Ogier, Philippe Garrel et Jean-Pierre Kalfon, son compagnon. L'icône allait faire une toute première escale à Rome avant de partir "sur la route". Si beaucoup d'artistes de cette époque ont voulu suivre cette voie, presque tous ont rebroussé chemin, pas Valérie Lagrange. Elle est partie durant des années vivre cette expérience hippie entre l'Italie, la vallée des Papous, Katmandou, Goa et la Nouvelle-Guinée. D'expériences interdites en promesses d'avenir radieux, à son retour, ses chansons seront comme une thérapie. Le succès sera au rendez-vous avec quatre albums chez Virgin avec Ian Jelfs. Le dernier, en 1985, s'intitulera Rebelle.


Retour gagnant


Et puis, encore une fois, l'absence... Elle chantera sans le faire savoir dans les prisons pour femmes, sera à l'origine en 1985 du disque Chanteurs sans frontières pour l'Éthiopie, donnera des cours à de jeunes autistes et sera la mère de Sophie Marceau dans Mes nuits sont plus belles que vos jours d'Andrzej Zulawski. Et puis il y a eu l'accident de Ian.
Après des années difficiles, un retour presque gagnant en 2003 avec la sortie de l'album, Fleuve Congo, en collaboration avec Benjamin Biolay. L'accueil est unanime et la positionne pour les victoires de la musique en février 2004, entre Juliette Gréco, Keren Ann et Carla Bruni. Quelques concerts à Paris et en province, et puis plus rien.
La dernière apparition sur scène de Valérie Lagrange remonte à 2005, dans le petit théâtre Essaïon à Paris, pour un hommage à Jack Kerouac. Fidèle à ses admirations, à ses engagements, Valérie est lucide et donc pessimiste. Elle aime citer ce dicton populaire anglais "When the shit hits the fan", que, par correction, nous ne traduirons pas.

Commentaires (4)

  • Gardien du temps

    Exactement Cador. Valérie est une superbe femme qui a un petit plus que beaucoup de gens du cinéma n'ont pas. Je pourrai presque dire à la Michelle Mercier. Valérie est un ange, une présence. Bruel se fait juste mousser avec les restos,[..].

  • sylv23

    Ah ! S'il pouvait y avoir beaucoup " D'à contre- courant " en ce jour de 22/04/2012...

  • jpg

    Pas d'avis, sinon un joli souvenir.