Edouard Barreiro, directeur des études à l'UFC-Que Choisir, réagit à la décision du fournisseur d'accès Free (dont le fondateur, Xavier Niel, est actionnaire du Monde à titre personnel) d'introduire un dispositif de blocage des publicités en ligne sur ses box.
Comment analysez-vous cette décision du FAI ?
En réalité, le sujet n'est pas la possibilité de bloquer ou pas la publicité, mais la méthode utilisée par Free. Tous les éléments montrent qu'il s'agit d'une manœuvre politique. Certains services de Google sont touchés, quand d'autres, équivalents, ne le sont pas. Par exemple, la publicité est filtrée sur le service de vidéo YouTube ; elle ne l'est pas sur Dailymotion. Cette mesure de filtrage apparaît donc comme une manœuvre pour forcer les négociations avec Google. Il faut remettre les choses dans leur contexte : depuis plusieurs mois, les abonnés Free se plaignent également de ralentissements lorsqu'ils consultent des vidéos sur la plateforme YouTube.
Joint par le site spécialisé ZDNet, Free assure qu'il serait "le premier concerné et probablement le plus touché" économiquement. Qu'en pensez-vous ?
Les publicités en ligne ne sont pas ce qui alourdit le plus les pages, et donc coûte le plus en termes de bande passante. Il s'agit d'un pari très fort de la part de Free, puisque le groupe prend le risque de se mettre à dos certains médias en ligne, dont le modèle dépend essentiellement de la publicité.
Sur ZDNet, Le fournisseur d'accès à Internet précise également "que les adblockers sont légaux, et sont même mis en avant par des navigateurs comme Chrome"...
Quand un internaute utilise un module adblock avec son navigateur, il le fait en connaissance de cause. Ce nouveau dispositif n'est ni visible pour l'utilisateur ni transparent. L'adblock du navigateur n'est pas non plus discriminant, et ne vise pas spécifiquement tel ou tel service. Et bien sûr, un adblock ne doit pas bloquer un outil qui n'a rien à voir avec la publicité, comme l'outil de mesure Analytics de Google. Free prend en otage les consommateurs et des acteurs économiques qui vivent de la pub pour arriver à ses fins dans ses négociations avec Google.
Fleur Pellerin, ministre de l'économie numérique, va rencontrer les responsables de Free et des éditeurs prochainement. Que peut faire l'Etat ?
Techniquement, un fournisseur d'accès à Internet peut faire ce qu'il veut. Le fait est qu'aux niveaux français et européen, il existe un appareil législatif, des règles qui encadrent les comportements des acteurs. Il ne peut donc s'agir que d'un coup de bluff de Free, qui ne peut tenir sa position que quelques jours. Car aucune autorité publique ne peut accepter cette stratégie.
A court terme, soit Google va payer, soit l'Etat va imposer que cette nouvelle fonctionnalité soit optionnelle. La bataille entre Google et Free va encore durer dans le temps. Mais la véritable question à se poser aujourd'hui, est celle de l'interconnexion, et de l'encadrement du peering [relation non marchande lorsque le trafic échangé entre les deux réseaux est symétrique]. Les pouvoirs publics doivent se saisir de cette question.
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