Des politiques pas mélomanes

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“Interrogés sur leurs goûts musicaux, les candidats à la présidentielle semblent avoir oublié… la musique classique , remarque Benoît Duteurtre dans Marianne . Nicolas Sarkozy a réaffirmé son goût pour Johnny, Enrico Macias et Didier Barbelivien. Sur la * playlist de François Hollande, on trouve Nolwenn Leroy, Benjamin Biolay ou Yannick Noah. Mais pas de Bach, de Beethoven, ni de Ravel. La classe politique française n’a jamais été très mélomane. Au moins les anciens présidents se sentaient-ils obligés d’afficher un vernis culturel. Jacques Chirac évoquait Boulez (pour faire moderne) ou l’* Ave Maria* de Schubert (pour la note d’éternité). Cette nécessité semble sortie du champ de préoccupation des politiques, certains s’interrogeant même sur celle d’entretenir cet art qui mobilise l’essentiel des subventions accordées à la musique, mais n’intéresse que 10% de la population. Qu’on ne s’y trompe pas* , précise Benoît Duteurtre : à Paris comme en province, les salles de concerts sont pleines. Le réseau musical français (opéras, orchestres, conservatoires), renforcé dans les années 60, en plein volontarisme gaulliste, demeure l’un des plus riches au monde. Nettement plus faible qu’en Allemagne sans doute (où l’on compte 80 maisons d’opéra et 150 orchestres symphoniques), mais bien meilleur qu’en Italie ou en Espagne, avec sa vingtaine d’orchestres symphoniques permanents et autant de maisons d’opéra. Pourtant, les conceptions semblent avoir profondément changé depuis André Malraux, quand l’Etat prétendait diffuser les chefs-d’œuvre sur tout le territoire de la République. Dans les années 80, Jack Lang avait déjà bousculé cette supériorité de la « grande musique », en reconnaissant le statut de culture à toute forme d’expression individuelle et collective. Aujourd’hui, sous le double effet de la crise économique et d’un changement de génération, elle paraît entrée – comme les vieilles industries ! – dans le cycle des regroupements. Un exemple en a été donné récemment par la ville de Metz qui, après avoir soutenu pendant deux siècles son opéra-théâtre, a engagé sa fusion avec l’Opéra de Nancy. Les orchestres devraient également n’en former qu’un. Cette « mutualisation des moyens » – longtemps refusée par l’ancien maire, Jean-Marie Rausch –, signifie pour la Lorraine deux fois moins de productions lyriques chaque année et une baisse du nombre de musiciens professionnels. Elle entraînera aussi un appauvrissement du répertoire français, longtemps défendu à Metz avec brio sous la direction de Marc Chevalier. La nouvelle équipe municipale socialiste s’intéresse davantage au théâtre à travers le Centre dramatique de Lorraine, sans doute plus parlant pour les politiques, et prise l’animation culturelle grand public, avec sa « Nuit blanche » ou son « Metz-Plage » – imités du modèle parisien. On peut s’étonner que le ministère de la Culture encourage ce désengagement. Dans les années 60, la Direction de la musique, créée par Marcel Landowski, jouait au contraire un rôle d’aiguillon, y compris financièrement, auprès des villes et des régions. Elle avait permis la naissance de nouvelles formations, comme les orchestres des Pays de Loire ou d’Île-de-France. Mais, depuis 2007, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la Direction de la musique a disparu, absorbée par une Direction générale de la création artistique. Son patron, Georges-François Hirsch, a, certes, montré son attachement aux formations permanentes, en soutenant les orchestres d’Avignon ou de Bretagne, contestés par certains élus locaux. Mais, en pleine crise financière, l’heure est à la réduction des coûts (un « gel » de 6% sur les subventions en 2012) et certains responsables culturels semblent considérer que la France compte trop d’opéras et d’orchestres. A Metz, c’est la Drac, l’antenne régionale du ministère, qui a piloté le projet de fusion avec Nancy. On parle également de regrouper les opéras de Marseille et d’Avignon, comme s’il était nécessaire de créer des établissements de « plus grande taille », au détriment du maillage du territoire et de la diversité. […] Mais à quoi sert donc un orchestre symphonique ? , poursuit le journaliste de Marianne . A faire de l’animation ? Ou à diffuser le grand répertoire, y compris dans les quartiers défavorisés, comme le fait admirablement l’Orchestre national de Lille ? Les politiques veulent « faire du chiffre ». Ils adorent ces festivals qui alignent en quelques jours * « plus de 200 concerts » et * « 150 000 spectateurs »*, à l’image de la Folle Journée de Nantes. Plus lourds et coûteux en personnel, les orchestres et opéras les embarrassent avec leur ambiance feutrée et leur public endimanché. Pour les mélomanes au contraire, le classique est un « patrimoine » collectif qui doit échapper à la logique commerciale. Les nouveaux gestionnaires contestent ce privilège, quand la chanson, le rock ou le rap touchent un public plus large et méritent leur part de subventions. Quant au mécénat d’entreprise, traditionnellement faible, il est touché lui aussi par la crise économique. Malgré l’engagement de certains comme Mécénat musical Société générale, France Télécom ou les Banques Populaires, beaucoup se tournent vers le sport, l’humanitaire ou les « musiques actuelles ». […] Paradoxalement, la remise en cause de certaines institutions – presque toujours parmi les petites maisons d’opéra ou les orchestres de région – va de pair avec l’essor d’un nouvel élitisme. Au diable l’action culturelle dans la France profonde… Inversement, quelques établissements « de luxe » échappent aux contraintes qui pèsent sur les plus faibles. D’une saison à l’autre, l’Opéra de Paris a continué à vivre sur un très grand train, comme il se doit pour un établissement de cette importance… Quitte à oublier son projet d’opéra populaire et ses places bon marché. Les deux beaux orchestres de Radio France ont délaissé leur ancien cahier des charges : exploration du patrimoine musical français, création d’œuvres contemporaines – passées au second plan derrière la carrière de leurs chefs vedettes, Myung-Whun Chung ou Daniele Gatti. Plus largement, les grandes formations parisiennes et certains orchestres de région, comme celui de Toulouse, contribuent à entretenir un marché classique parfois dispendieux, en payant, grâce à l’argent public, des cachets souvent excessifs à des stars du chant ou du piano, quand les formations subventionnées pourraient s’en tenir à des montants plus raisonnables et montrer plus d’audace dans leur programmation. L’Etat cautionne ainsi une sorte de bling-bling musical, en concentrant davantage ses moyens sur quelques structures prestigieuses, le plus souvent parisiennes.“ * Et Benoît Duteurtre de conclure : *“La musique classique n’est pas seulement un produit de luxe. Car, pour prospérer, elle a besoin d’un terreau, d’une présence dans les régions bref, d’une ambition culturelle qui permette aux talents de se développer et aux sensibilités de s’épanouir.“ * Avis au futur ministre de la Culture…

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