Ces start-up de l'IoT qui font le nucléaire français

Ces start-up de l'IoT qui font le nucléaire français Les investissements dans les start-up du nucléaire ont été multipliés par dix en 2021, d'après une étude de l'entreprise Skopai. Une preuve du dynamisme des projets spécialisés dans le secteur.

Avec la crise énergétique qui a découlé de la guerre en Ukraine, le nucléaire est revenu en odeur de sainteté en France, et les nouvelles en sa faveur se multiplient : le Sénat a voté le  24 janvier un projet de loi favorisant la construction de nouveaux réacteurs, EDF milite pour une exploitation des centrales au-delà de 60 ans et la centrale de Civeaux, en arrêt depuis octobre 2021, a redémarré. Une aubaine pour les acteurs de l'IoT spécialisés dans ce secteur, d'autant qu'ils profitent de la santé déclinante du parc et du besoin accru de surveillance.

Cette demande se concrétise par les investissements dans le secteur : ils ont été multipliés par dix en 2021, d'après une étude réalisée par la start-up deeptech Skopai, qui a cherché à dresser en novembre dernier, à partir de son moteur de recherche d'identification de start-up, un panorama des start-up françaises du nucléaire. Elle en a identifié 46, dont une dizaine dans l'IoT. "Parmi les 46 start-up identifiées, 40% d'entre elles ont été créées ces cinq dernières années, avec un pic en 2018", souligne Tatiana Beliaeva, à l'origine du mapping chez Skopai. Dans son Bilan électrique annuel, RTE avait annoncé une meilleure disponibilité des centrales en 2018, une raison qui a sans doute encouragé l'essor de solutions IoT dans un domaine où de multiples usages sont possibles.

La maintenance conditionnelle

Le premier usage spécifique à l'activité nucléaire est la surveillance du cycle de production d'électricité. Un domaine où la start-up Metroscope, créée au sein d'EDF en 2018, apporte sa valeur dans la CBM, pour condition based maintenance. Les centrales, en vieillissant, subissent des pertes de performance, ce qui représente des millions d'euros de perte et une vraie difficulté à localiser la ou les défaillances associées. A travers son jumeau numérique, Metroscope simule le processus thermique de la centrale et va comparer ces données en temps réel pour établir un diagnostic. "C'est dans le circuit secondaire que se produisent 70% des défaillances. Nos algorithmes calculent en quelques secondes le scénario le plus probable des défaillances en cours et quantifient leurs impacts sur la performance. Cela permet ainsi à l'opérateur de disposer d'une information précise sur l'état de santé de sa centrale et potentiellement d'intervenir plus rapidement", détaille Clara Boisserand, chief business officer chez Metroscope. La solution est déployée sur la totalité du parc nucléaire français (les 56 tranches nucléaires françaises), ainsi que dans plusieurs pays tels que la Belgique, le Royaume-Uni ou encore les Etats-Unis et s'est diversifiée plus récemment sur les cycles combinés gaz.

La surveillance des paramètres

Le deuxième usage majeur pour lequel les capteurs sont déployés concerne la surveillance de paramètres divers, qui vont de la température aux vibrations en passant par le contrôle de la ventilation ou l'analyse de la qualité de l'eau. Easy Sense, start-up intrapreneuriale développée au sein d'EDF Pulse, a mis au point un objet, autonome en énergie, compatible avec tout type de capteur, et qui permet de rapatrier au même endroit et de manière sécurisée, de la donnée sans fil, notamment en zone isolée. "La plus-value est de rendre communicant des objets de la centrale. L'IoT amène par ailleurs un changement de paradigme : avec les téléalarmes auparavant, la donnée était consommée à un instant T. Les objets connectés et la création de datalakes nous ouvrent la voie à la maintenance prédictive", précise-t-on chez EDF.

Depuis avril 2022, la moitié de la capacité du réseau est indisponible pour des raisons de cas avérés de fissures dans les canalisations. La start-up Beweis propose en ce sens un suivi des contrôles des soudures. "La difficulté dans les zones Atex (zones réglementées pour leur atmosphère explosif, ndlr), c'est que les capteurs sont trois fois plus gros et plus chers, car ils doivent intégrer un système antidéflagratoire et être alimentés par des câbles spécifiques", précise Joffray Henné, responsable de projets chez Stidspécialisée dans les solutions logicielles et matérielles de contrôle d'accès et de traçabilité.

La robotique

Autre cas d'utilisation, qui évolue technologiquement mais qui est en place depuis des années : l'usage de capteurs IoT couplés à des robots ou des drones pour effectuer des missions en zone dangereuse, à l'image des robots-capteurs de la start-up Innowtech. Autre exemple, la start-up de drones Horizon Data Services a développé le système Comete, en partenariat avec EDF, pour le contrôle dimensionnel à distance des ancrages et supports. De son côté, la start-up Haption a conçu des interfaces haptiques destinées aux opérations de déclassement, de démantèlement et de maintenance.

Coupler les technologies implique comme dans tout secteur des problématiques d'interopérabilité. La start-up toulousaine Elements a engagé une collaboration avec le Pôle de Valorisation des Sites Industriels (PVSI) et le CEA Marcoule (Gard) pour favoriser l'émergence de standards technologiques de conception d'équipements robotisés au profit de l'industrie de l'assainissement et du démantèlement nucléaire. Elements est par ailleurs à l'origine avec Innowtech d'un robot pouvant surveiller et étudier les zones radioactives des installations nucléaires.

La traçabilité des équipements

L'usage en expansion dans le nucléaire concerne la traçabilité d'équipements, des déchets et de leur contenant. Un domaine dans lequel la start-up Nexess a commencé ses déploiements dès 2008. Avec sa solution BE-track, Beweis permet quant à elle de suivre les déchets radioactifs entre les différents sites de stockage ou de traitement. Pour le compte d'une usine d'incinération dans le Gard, Stid assure la traçabilité des fûts en plastique qui contiennent les gants, blouses et autres protection mis par le personnel pour accéder à des zones faiblement radioactives. Ces habillements doivent être traités comme des déchets radioactifs. "Nous les traçons de leur utilisation à leur incinération, en identifiant leur arrivée sur le site et leur passage sur un convoyeur. Les portiques RFID permettent de détecter automatiquement plusieurs fûts, au lieu de devoir les scanner manuellement un à un", décrit Joffray Henné, responsable de projets chez Stid. A ses yeux, l'enjeu à venir sera de développer une calibration plus précise.

La traçabilité des armes

Autre type de traçabilité, celle des armes des agents de sécurité. "Le nucléaire est un enjeu d'énergie qui peut faire l'objet d'intentions malveillantes. Il y a de plus en plus d'IoT installés à des fins de sécurité, comme des caméras connectées ou des traqueurs pour de la géolocalisation", indique Thierry Orosco, CEO d'Obvious Technologies, qui déploie des jumeaux numériques dans des infrastructures critiques. De son côté, Stid a démarré dans le nucléaire en équipant les armes des agents de sécurité de puces RFID, l'entreprise contrôle également les armes des agents au Commissariat de l'énergie atomique et ceux d'Orano, fournisseur dans le soutien à l'exploitation des sites nucléaires. "Pour les sujets de mobilité de personnes ou de flux, la surveillance par l'IoT va prendre de plus en plus d'importance, notamment pour les travailleurs solitaires dans les environnements dangereux", analyse Thomas Estier, qui collabore avec une start-up IoT dans le nucléaire.

Le dosimètre connecté, futur usage

Les cas d'utilisation peuvent encore être nombreux. "Nous n'en sommes qu'aux prémices d'une nouvelle ère mais il nous faudra trouver les start-up pérennes dans le secteur, nous en avons vu beaucoup disparaître", assure-t-on chez EDF. La crise énergétique actuelle pourrait conduire à l'émergence de nouvelles solutions dans les mois à venir, même si le nucléaire reste un secteur de niche pour l'IoT. "Nous nous attendons à ce que les investissements dans le nucléaire augmentent encore en 2023 et 2024", indique Stanislas Hintzy, CEO de Skopai. Chez Stid, Joffray Henné a reçu plusieurs demandes de clients souhaitant s'informer de la manière de connecter les dosimètres, ces instrument destinés à mesurer la dose radioactive ou l'équivalent de dose reçus par une personne exposée à un rayonnement ionisant. "Les dosimètres sont remis aux visiteurs qui se rendent sur site. La gestion et le suivi des appareils se font toujours sur papier. L'IoT pourrait être leur prochaine évolution."