Andreï Korobeïnikov, Christoph Berner, Alexeï Volodin, Brigitte Engerer, David Kadouch, Katia et Marielle Labèque… Les pianistes qui prennent cette année encore les chemins de Touraine rappellent l’origine de leurs Fêtes musicales. En 1963, leur immense aîné Sviatoslav Richter fut frappé par la beauté majestueuse et poétique de la Grange de Meslay, édifiée par les moines de l’abbaye de Marmoutier au début du XIIIe siècle. Derrière sa façade, le bâtiment révélait un volume intérieur exaltant et une somptueuse charpente en cœur de chêne. Le pianiste russe y décela aussitôt le lieu idéal où fonder le festival dont il rêvait en bord de Loire.

Cinquante ans plus tard, la musique magnifie toujours l’édifice agricole médiéval, au fil d’une programmation tissée par René Martin. On reconnaît la « griffe » du créateur de La Folle Journée de Nantes et du Festival de La Roque-d’Anthéron : la musique de chambre règne en souveraine, les jeunes générations d’interprètes déploient leur éloquence toute fraîche sous le parrainage amical de musiciens plus aguerris…

Les plus opiniâtres réussiront peut-être à se faufiler dans la Grange dès vendredi 15 juin au soir (21 heures) pour le concert inaugural dont les places se sont arrachées. Le public n’a pas voulu manquer le duo violon-piano formé par les Russes Vadim Repin et Andreï Korobeïnikov. La hauteur de vue du premier, la farouche énergie du second et l’ébouriffante virtuosité qu’ils partagent s’illustreront dans Beethoven, Debussy et Prokofiev. Samedi 16 et dimanche 17 juin, les pianistes Alexei Volodin et Yuliana Avdeeva (lauréat du dernier Concours Chopin de Varsovie) témoigneront à leur tour de cette éblouissante école russe du clavier dont Richter fut l’incomparable soleil.

Redécouverte de l’oeuvre de Schubert, Schumann…

N’allons pas imaginer pour autant que Les Fêtes musicales cultivent une exclusivité moscovite ou pétersbourgeoise ! L’un des moments attendus de ce premier week-end (samedi 16 juin à 18 heures) est placé sous le signe de l’art vocal germanique grâce au ténor allemand Werner Güra et au pianiste autrichien Christoph Berner (1).

Le récent décès du baryton Dietrich Fischer-Dieskau et les hommages rendus à son exemplaire carrière au service du lied ont permis de redécouvrir la force émotionnelle des pages de Schubert, Schumann, Brahms ou Wolf qui racontent en quelques minutes parfois autant qu’un opéra tout entier. Avec son timbre clair et sa lumineuse musicalité – peaufinée dans la troupe de l’Opéra de Dresde, prélude à un parcours jusqu’ici sans faute –, sa diction élégante et son phrasé plein de naturel, Werner Güra reprend dignement le flambeau du lied.

Mais saurait-il autant nous séduire s’il ne partageait la scène avec Christoph Berner ? Leur complicité persuade du précieux alliage, organique, entre la voix et le piano pour dessiner les paysages intérieurs – joyeux, pensifs ou douloureux – de chacun des lieder du Swanengesang (Le Chant du Cygne) de Schubert ou du Dichterliebe (Les Amours du poète) de Schumann. Trop peu connu en France, Christoph Berner évoque Alfred Brendel par la pureté classique de son jeu, soudain troublée d’une rêveuse mélancolie, toute romantique.