Jusqu'au dernier moment, les dirigeants d'Areva ont retenu leur souffle. Répétant qu'il ne fallait pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Aujourd'hui, ils respirent un peu mieux.
Vendredi 3 mai, à Ankara, le premier ministre japonais, Shinzo Abe, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, vont signer un accord politique bilatéral ouvrant une période de négociations exclusives pour la construction de la deuxième centrale nucléaire de Turquie. L'information a été confirmée par le chef du gouvernement turc dans un entretien, publié jeudi matin, par le quotidien japonais Nikkei.
Areva souligne qu'il est "un fournisseur-clé de ce deal turco-japonais". Le groupe insiste néanmoins sur le fait que les négociations à venir seront menées par un consortium japonais, piloté par Mitsubishi Heavy Industries (MHI). Si Areva fait ainsi profil bas, c'est que les relations économiques entre la France et la Turquie n'ont pas toujours été au beau fixe ces dernières années, du fait des positions françaises sur le génocide arménien.
Les travaux de cette nouvelle centrale de 5 000 mégawatts, située à Sinop (nord de la Turquie), devraient débuter en 2017 pour une mise en service de la première tranche programmée en 2023.
Même s'il ne s'agit pas encore aujourd'hui d'un contrat ferme et définitif – il reste en effet à finaliser le financement, le calendrier et l'organisation industrielle de ce projet évalué à 20 milliards de dollars (15,2 milliards d'euros) –, cette annonce est d'importance pour l'industrie nucléaire et pour Areva en particulier.
La négociation qui s'ouvre avec la Turquie porte sur la construction de quatre réacteurs nucléaires de type Atmea 1, développés en commun par MHI et Areva, via une coentreprise créée en 2007. Ce réacteur à eau sous pression de troisième génération, d'une puissance de 1 150 mégawatts (MW), n'a encore jamais été commercialisé.
Areva et MHI ont achevé la conception de base et pensent en avoir terminé la conception détaillée d'ici à 2014.
Même si ce n'est encore qu'un "réacteur de papier", l'Atmea 1 a déjà fait l'objet de demandes d'évaluations auprès de l'autorité de sûreté nucléaire française et est destiné à répondre à la demande de réacteurs de moyenne puissance.
SÉDUIRE LES PAYS ÉMERGENTS
"C'est un petit EPR, avec toutes les garanties de sûreté de l'EPR", pointe-t-on chez Areva, où l'on se veut rassurant quant aux garanties apportées par ce réacteur dans un pays frappé, à de multiples reprises, par de violents et dévastateurs tremblements de terre.
Grâce à l'Atmea 1, Areva espère séduire nombre de pays émergents. Des discussions commerciales sont d'ailleurs engagées avec le Vietnam, la Jordanie et l'Argentine.
Après l'accident de Fukushima, en mars 2011, l'accord signé entre Ankara et Tokyo signe la reprise des grands contrats dans un secteur qui avait été surtout marqué – en Europe en tout cas – par le retrait de grands pays de ce marché. "Cela démontre que de nouveaux pays peuvent aller sur le nucléaire et c'est une bonne nouvelle pour cette industrie", se réjouit-on chez Areva.
Pour le groupe français, c'est aussi une bonne nouvelle pour d'autres raisons. Areva a dû essuyer, ces derniers temps, de sérieuses avanies avec son produit star, l'EPR.
Les retards et les surcoûts, enregistrés dans la construction de ce réacteur en France, à Flamanville (Manche), et à Olkiluoto (Finlande), les échecs rencontrés en République tchèque et aux Emirats arabes unis, ont fait craindre que ce réacteur soit au nucléaire français ce que le Concorde fut à l'aéronautique, à savoir un beau produit mais un échec commercial. L'objectif d'Areva d'en vendre dix d'ici à 2016 semble d'ailleurs, pour l'instant, difficile à atteindre.
UNE STRATÉGIE D'ALLIANCE QUI PORTE SES FRUITS
Pour Areva, cet accord autour de l'Atmea 1, valide sa stratégie d'alliance avec MHI, très critiquée après l'accident de Fukushima et souvent mise en doute par son partenaire historique, EDF. L'électricien français ne sera pas de la partie pour cette centrale turque de Sinop. EDF avait pourtant regardé le dossier dès 2011 et a même fait une offre avec l'EPR. Mais le vote, en fin d'année, par le Parlement français d'un texte sur le génocide a donné un coup d'arrêt à cette proposition.
N'ayant pas participé à la conception de l'Atmea 1, le groupe dirigé par Henri Proglio ne s'est pas positionné pour en être l'exploitant. Certains, dans la filière nucléaire française, ont soupçonné EDF de vouloir se placer au côté du groupe chinois CGNPC qui étaient aussi en lice avec une offre rivale à celle du tandem MHI-Areva.
Finalement, après arbitrage au plus haut niveau du gouvernement, c'est GDF Suez qui pourrait tirer les marrons du feu. L'énergéticien français devrait être l'opérateur de cette centrale en association avec un électricien turc.
"Des discussions sont en cours", confirme un porte-parole de GDF Suez. En difficulté avec ses centrales nucléaires belges, toujours arrêtées, le groupe de Gérard Mestrallet retrouverait une "visibilité concrète sur cette activité". GDF Suez avait un moment été pressenti pour être l'exploitant d'un Atmea en France dans la vallée du Rhône, projet qui a été abandonné.
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