Sortez vos platines, le vinyle revient !

Porté quasi-disparu à la vente depuis l'avènement du CD, le disque vinyle qui se cantonnait aux registres du hip hop ou de l'électro est de retour dans les bacs. Objet à la fois vintage, et gage de qualité, il a le mérite d'avoir le son chaud, et de tourner le dos à la dématérialisation des objets. Vive la galette.

Par Jean-Baptiste Roch

Publié le 06 février 2013 à 15h09

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h57

Ce sont deux anecdotes qui donnent une idée du phénomène. La première date de 2008 : dans un supermarché de la région de Portland, dans l’Oregon (Etats-Unis), l'employé du rayon disques s'emmêle les pinceaux. Au lieu de passer commande auprès de son fournisseur de plusieurs dizaines de CD du dernier album du groupe REM, Accelerate, il clique inopinément sur la case "LP". Et se retrouve quelque jours plus tard, un peu ballot, avec des dizaines de vinyles sur les bras. Il ne se démonte pas et les met en rayon. Contre toute attente, le stock s’écoule en quelques jours. La seconde anecdote date de ces jours-ci : samedi 2 février 2013, le dernier disque du groupe anglais My Bloody Valentine, référence culte pour les amateurs de rock des années 80, est en écoute sur YouTube et mis en vente sur son site officiel en plusieurs formats : version vinyle, CD et évidemment, digitale. Deux jours plus tard, des chiffres tombent : « 30 000 albums vendus, 15 000 en vinyle (plus que le record 2012 de The XX). Sans label. » , s'exclame sur son compte twitter JD Beauvallet, rédacteur en chef des Inrockuptibles, citant le manager du groupe. On peut le dire : le vinyle, qui avait presque disparu, est donc bien de retour.

Aux Etats-Unis, d’après les chiffres Nielsen publiés par Billboard, sur les neuf premiers mois de l'année 2012, les ventes de disques vinyles ont bien augmenté de 16,3% (soit 3,2 millions de disques vendus) par rapport à 2011, et la croissance est continue depuis cinq ans. Dans le même temps, les ventes de CD ont chuté de 13% quand les ventes digitales ont, elles aussi, progressé, mais dans une moindre mesure que le vinyle : +14%. Le vinyle vend donc de nouveau, c’est un fait. Mais en proportion, il reste un nain économique : quand Jack White cartonne en vendant 140 000 copies de son dernier album Blunderbuss la semaine suivant sa sortie, il se classe troisième des ventes de vinyles en 2012 avec – "seulement" – 33 000 copies vinyles vendues (dépassant pourtant l’album des Beatles Abbey Road, best-seller des vinyles chaque année aux Etats-Unis depuis sept ans) ; quand la chanteuse anglaise Adele vend 10 millions de copies de son album 21 aux Etats-Unis, les vinyles ne représentent que 25 000 ventes, environ, de ce total (soit 0,25%) . En France, difficile de faire valoir des chiffres car les ventes des disquaires indépendants (pourtant les plus gros pourvoyeurs de galettes noires) ne sont pas prises en compte (voir encadré ci-dessous). Aux Etats-Unis, comme en France, les vinyles ne représentent à peine plus d'1% des ventes totales de disques.

On est donc loin du raz-de-marée, mais la tendance est là : il se vend plus de vinyles qu'il y a dix ans, – et pas seulement en reggae, électro et hip hop, genres qui ont sauvé le support de la disparition. Il suffit de se rendre dans les grandes enseignes culturelles, là où le disque noir avait quasiment déserté les rayons, pour s'en convaincre : « On a refait le rayon vinyle depuis un an : sa surface a doublé, et au milieu de l'année 2012, nous avions déjà égalé les ventes de 2011 », raconte un vendeur de chez Gibert Joseph à Orgeval, en région parisienne (Yvelines). A la Fnac des Halles, en plein coeur de Paris, chaque genre (variété, chanson française, rock, jazz, hip hop ou électro) possède désormais son rayon vinyle, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Rien à voir toutefois avec le faste d'antan, quand les mélomanes de province affluaient en masse dans les rayons géants de l'enseigne de la capitale pour dénicher les imports des Smiths ou des Stray Cats, souvent introuvables chez leurs petits disquaires de proximité.

Aujourd'hui, le schéma s'est d'ailleurs inversé : ce sont eux, les petits disquaires, grands artisans de la survie du vinyle, qui font aujourd’hui office d'enseignes spécialisées. Et de fait, ils se multiplient depuis un ou deux ans et ont même leur jour de fête, avec le Disquaire Day. A côté d’une boutique comme Ground Zero (ouverte à Paris en 2004), connue de tous les amateurs de rock, de petites échoppes, affiliées à des labels ou des salles de concerts ont ainsi fleuri : Born Bad Records d'abord, puis récemment Fargo, L'International Records entre autres exemples parisiens. Toutes vendent majoritairement du vinyle, rock surtout, et surtout issu de petits labels. Et toutes font état d'un engouement croissant pour le support : « Il représente 80% de nos ventes en 2012, assure une vendeuse de Ground Zéro. Alors qu'en 2004, c'était à peine 10% ». Jean-Baptiste Guillot, fondateur du label rock indépendant Born Bad Records, qui a ouvert une boutique adossée à son label, est encore plus péremptoire : « Aujourd’hui, l'économie de mon label repose exclusivement sur la vente de vinyles ». Frustration, l’un des groupes du label, a ainsi écoulé 4 000 vinyles de son précédent album, Relax, tous vendus chez des disquaires indépendants (en France mais aussi à l’étranger).

Que vendent aujourd’hui les disquaires en matière de vinyle ? Pour les sorties récentes, surtout du rock indépendant et un peu d’électro : Alt-J, Grizzly Bear, Ty Segall sont parmi les best-sellers du moment, à côté de quelques rééditions. Pour ceux qui vendent de l'occasion, ce sont surtout les classiques : The Doors, Led Zeppelin, Hendrix, du jazz aussi. Sur le site de la Fnac, le palmarès est plus hétéroclite : en tête, les dj's de C2C, suivi par Lana Del Rey, star du Web en 2012, Rodriguez, le rockeur revenant, et, plus surprenant, Ben Harper et Iron Maiden. Chez Gibert Joseph, dans le quartier St Michel à Paris, « les ventes se concentrent surtout sur du neuf, avec beaucoup de rééditions, notamment celles d’Hendrix », explique Xavier, l’un des vendeurs. « Ce qui est sûr, c’est qu’il y a beaucoup plus d’acheteurs qu’avant », lâche-t-il sans toutefois donner de chiffres précis.

Un regain d’intérêt qui s’explique d'abord, pour les mélomanes les plus jeunes, par la lassitude du mp3 et du son compressé. Ils ont plutôt connu le digital et la dématérialisation et s'entichent désormais d'un objet au charme « vintage », au son chaud et au rendu des aigus incomparable ; par la nostalgie, aussi, celle des 40-50 ans, qui ont connu l'époque du vinyle, ont succombé à la démocratisation du CD dans les années 90 et ses promesses d'un son cristallin, pour revenir désormais à leurs premières amours. Le propriétaire de Planète Claire, disquaire spécialisé à Orléans avance une autre explication : « Les variations de prix sur les CD, à la FNAC notamment, ont dévalorisé l'objet : entre le prix de sortie, le prix vert, puis le prix post-prix vert supérieur au prix de départ, les gens ont le sentiment de se faire avoir et attendent désormais avant d'acheter. Voire, parfois, n’achètent plus. Et certains font le calcul : quitte à payer, autant que l’objet en vaille la peine ».

Pas sûr, cela dit, que le vinyle fasse son retour dans tous les foyers. « Le vinyle est loin d'être un eldorado, tempère Jean-Baptiste Guillot. On sacralise artificiellement le support. A entendre les gens, on a l'impression qu'un disque vinyle est moulé à la louche... Reste qu'il donne du sens à l'écoute, il renvoie à des valeurs dans l'air du temps : le retour à une certaine authenticité, une certaine exigence de qualité, et ça, c'est bien ». De fait, la fabrication d'un disque vinyle relève encore aujourd’hui de l'artisanat. En France, une seule entreprise maîtrise ce savoir-faire du support noir : MPO (Moulage Plastique de l’Ouest). Or, même si le coût d'un disque vinyle n'est que de 2,5 euros au final pour un label indépendant, son processus de fabrication est un casse-tête. Entre les dérivés du pétrole dont les prix flambent, les nombreux produits chimiques interdits ces dernières années, MPO a dû adapter sa recette, au prix d’importants sacrifices financiers. En magasin, la note s’en ressent : il en coûte entre 20 et 30 euros pour un vinyle neuf – et bien plus pour un collector –, quand un CD avoisine les 10-15 euros. Même si le vintage a le vent en poupe – chez Gibert on peut de nouveaux trouver des cassettes, quelques puristes reviennent même aux bandes magnétiques –, les prix restent un obstacle majeur à un retour massif de la galette noire. Par comparaison, un 33 tours neuf (le format album, pour les novices) valait entre 40 et 50 francs (entre 6 et 8 euros) en 1980. Il en coûte plus du triple aujourd’hui.

En l'absence de chiffres officiels sur les ventes de vinyles, il est difficile de savoir combien de galettes noires sont vendues chaque année sur le territoire. Tout au plus sait-on, via le Snep, que les ventes physiques de musique (CD, DVD, et donc vinyles) ont chuté de 11,9% en 2012. Mais un bon moyen d'estimer leur nombre, c'est de demander à MPO, seule entreprise en France produisant des vinyles et qui fournit 90% des labels et disquaires français, combien elle en a fabriqué cette année. « Sur 2010 et 2011, nous avons pressés 4,5 millions de disque vinyles. En 2013, nos ventes ont augmenté : nous sommes passés à 5,5 millions, sachant que la France capte 35% de cette production », confie ainsi Fredi, directeur commercial vinyle chez MPO. Ce qui signifie qu'en 2012, peu ou prou, environ 1,9 millions de vinyles ont été distribués en France. Sachant que disquaires et labels font la course aux invendus et achètent un nombre de pressages minimum (la moyenne est de 300), quitte à se réapprovisionner ensuite. Et Fredi d'ajouter : « La production de MPO a certes baissé depuis dix ans, puisque nous produisions 10 millions de vinyles par an, et le vinyle reste une niche, c'est une évidence, mais le nombre de nos clients n'a fait qu'augmenter. » Autrement dit : aujourd'hui, beaucoup plus de gens vendent des vinyles en France qu'il y a dix ans.

 

Retrouvez dans Télérama en kiosques ce mercredi 6 février une enquêtre sur la Fnac

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